Une lettre du charron "Vendôme la Gaîté" (1888)
La Ste-Catherine (25 novembre), fête des compagnons charrons du Devoir, nous donne un prétexte pour publier la lettre de Gustave LUCAS à M. et Mme TIRONNEAU, ses patrons de Trôo (Loir-et-Cher), au tout début de l’année 1888.
Né le 9 juin 1863 à Lavardin, près de Montoire (41), il avait été reçu compagnon en 1887 à Nantes sous le nom de « Vendôme la Gaîté ». Il était à Nozay (Loire-Atlantique) au moment où il écrivit sa lettre. Une notice lui est consacré sur la partie GÉNÉALOGIE du site.
On appréciera l’humour de ce compagnon républicain, qui savait composer avec les usages de la Bretagne…
L’orthographe a été restituée, car notre Vendômois savait davantage construire des roues que respecter les accords…
« Liberté ! Égalité ! Fraternité !
D. P. L. D.
Cher patron et patronne,
Excusez-moi si je suis en retard du 1er janvier pour vous faire mes souhaits car je suis un peu en retard.
Je vous souhaite donc une bonne année et une parfaite santé car on en a toujours besoin.
J’ai été bien content de recevoir de vos nouvelles ainsi que de tous les amis de Trôo.
Si je vous ai pas fait un grand détail sur ma dernière lettre, c’est que je n’avais pas le temps.
Je vous dirai que dans le pays où je suis, le monde est bien dévot ; on ne travaille pas dimanche, on nettoie la boutique le samedi soir et il faut aller à la messe et à vêpres, mais moi qui n’en avais pas l’habitude, je leur ai dit que j’étais protestant et ils me croient bien.
Je vous dirai aussi que l’on ne boit pas beaucoup de vin, mais on boit bien du cidre qui coûte 4 sous la bouteille ; le vin blanc 10 sous et le vin rouge 1 franc la bouteille, mais tout le vin ne vaut rien.
Il n’y a pas de bal et cependant il y a de belles petites Bretonnes qui sont bien chaudes de la pince.
Enfin, je ne crois pas y rester longtemps. Maintenant je vais partir pour Angoulême et Rochefort et de là à Bordeaux, mais avant il faut que je me paye une canne de compagnon pour faire mon tour de France enfin.
Vous aurez la bonté de renouveler mes civilités empressées avec tous les amis de Trôo et vous remettrez cette petite lettre à Albert Amiot.
Je n’ai plus rien à vous marquer pour le moment. Je finis ma lettre en vous serrant la main de tout mon cœur à tous.
Votre tout dévoué
Lucas Gustave
dit Vendôme la Gaîté C.C.D.D.
P.S. Alexandre Leroy est sans ouvrage depuis plus d’un mois. Il est à Nantes à flâner. Il ne se plait nulle part, il n’est plus chez lui aussi.
Tant que pour moi, je ne crains pas de manquer d’ouvrage grâce aux bons principes que vous m’avez donnés et à ceux que j’ai su acquérir depuis que je suis parti.
Lucas Gustave
Chez Monsieur Armand Martin
Charron à Nozay, Loire-Inférieure.
Vous ferez faire lecture de ma lettre à Albert Amiot car la sienne n’est pas longue. »
Ce document nous donne un aperçu des préoccupations des jeunes gens sur leur tour de France, il y a plus d’un siècle : travailler de leur métier mais aussi prendre du bon temps avec les filles, aller au bal et déguster du bon vin, le tout sans faillir aux bons principes enseignés durant l’apprentissage et par les compagnons.
Merci à M. Patrick FONTENEAU qui a remis une copie de cette rare lettre pour qu’elle soit conservée dans les archives du musée.