Les fleurs de soumission
C’est par cette expression que les compagnons d’autrefois désignaient les flocons de neige qu’ils voyaient tomber, derrière les vitres de l’atelier où ils travaillaient durant l’hiver. Voici un extrait des Fragments d’histoire du Compagnonnage n° 16 où ce sujet est développé :
« Durant près de six mois, lorsque les compagnons avaient eu la chance d’être embauchés avant l’hiver et de ne pas être renvoyés, il leur fallait subir la mauvaise humeur et les exigences de leurs maîtres, qui, pour faire des économies, les nourrissaient mal.
Un écho parmi d’autres figure dans la chanson Les Passants plâtriers, de Joseph Potier, Le Bien-Aimé de Saint-Georges-de-Reintembault, compagnon plâtrier du Devoir, écrite en 1875 : « Le singe nous fait la grimace / Sitôt que la neige apparaît, / Et bien souvent il nous menace / De parapher notre livret. »
C’est là qu’interviennent les « fleurs de soumission ». Laissons Roger Lecotté nous conter de quoi il s’agissait. Voici ce qu’il écrit dans la préface du livre de Barret et Gurgand, Ils voyageaient la France (1980) :
« Évoquons la saison hivernale si pénible où certains « bourgeois » (patrons) rationnaient la nourriture et accentuaient l’inconfort du compagnon parce que le travail se faisait rare. Si ce dernier protestait… mais écoutons notre cousin Charles Lecomte, dit Tourangeau Plein d’Honneur, Compagnon tonnelier-doleur du Devoir, reçu à Cognac en 1850, nous narrer en 1920, à Noisay, à l’âge de 85 ans, l’aventure dont il fut le héros en 1849 : Le « singe » (patron) me menait la vie dure l’hiver et tandis qu’un jour, tôt rentré de l’atelier, je regardais tristement la fenêtre dont les vitres étaient intérieurement couvertes de gel en capricieux dessins, il me dit, goguenard : tu regardes les fleurs de soumission ?
J’étais vexé, aussi, mars venu, et les primevères poussant dans le jardin, je les contemplais par la même fenêtre. Le singe s’approcha et me dit : Allons, au travail ! Qu’est-ce que tu regardes ? Alors je lui répondu, joyeux : des fleurs de j’fous le camp ! et je lui ai demandé mon compte. »
Le plus curieux c’est que je recueillis à Amboise trente ans après, en 1951, un récit similaire du Compagnon menuisier Ernest Poupault alors âgé de 76 ans. Voici son témoignage à situer vers 1900 : « Pas drôle de travailler l’hiver, il fallait tout faire, même la bonniche, sans rouspéter, mal manger et peu gagner. Un jour que j’avais mal répondu au singe il me dit (il neigeait dehors) pour se ficher de moi : tu vois, il tombe des fleurs de patience, prends garde que je perde la mienne. Je rongeai mon frein mais, le printemps revenu, je revins un midi avec un bouquet de violettes à la boutonnière. Le « bourgeois » surpris me dit : qu’est-ce que c’est que ça ? – Ca, que je lui ai répondu, c’est des fleurs de j’t’emmerde ! Il en est pas revenu et moi je suis parti. »
Une petite enquête révéla que les flocons de neige sont appelés « fleurs de patience » dans le Perche, « fleurs de soumission » dans les Vosges, « plaît-il not’maître » en Belgique. »
Sur les « Fleurs, feuilles et bouquets des compagnons du Tour de France », voir les Fragments d’histoire du Compagnonnage, volume 16, cycle de conférences 2013, p. 7-69. (mettre un lien pour renvoyer à la partie boutique).
Ce n’est qu’avec le retour du printemps que les compagnons repartaient sur le tour de France. Ici, vers 1840, les compagnons couvreurs de Tours font la conduite à des « partants » jusqu’à la sortie de Tours, à Saint-Cyr-sur-Loire, sur la route de Saumur.