Il y a 100 ans : novembre 1913
Dans la vie rythmée des compagnons, le mois de novembre comporte deux dates importantes : la Toussaint (1er novembre) et la Sainte-Catherine (25 novembre).
La première était l'occasion de rendre hommage aux compagnons décédés mais était aussi une date pour les réceptions de nouveaux compagnons, comme le sont les grandes fêtes chrétiennes. Ce sont notamment les compagnons charpentiers, les couvreurs, les menuisiers, les boulangers du Devoir qui faisaient (ou font encore) réception à cette date.
La seconde, c'est la Sainte-Catherine, la fête patronale des compagnons charrons du Devoir. Pourquoi ? Parce que cette vierge chrétienne de la fin du IIIe et du début du IVe siècle aurait subi le martyre avec une roue hérissée de pointes. La roue l'a fait adopter par ceux qui la fabriquent, c'est-à-dire les charrons. A la Sainte-Catherine, ils recevaient donc leurs nouveaux compagnons, l'autre date de réception étant la Saint-Jean (24 juin).
En cette année 1913, les compagnons charrons de Tours, Bordeaux, Lyon et Paris ont donc fêté leur sainte-patronne. A Paris, la fête a eu lieu le dimanche 30 novembre. La veille, on été reçus neuf nouveaux compagnons et tout le monde s'est retrouvé au banquet présidé par la Mère, Madame Andrieu, rue Charlot (IIIe arrondissement).
Le journal "Le Ralliement" du 1er mars 1914 nous donne le compte rendu de cette journée et l'on apprend d'abord que : "Une quarantaine de convives y assistaient, et plusieurs dames, par leurs charmes, étaient venus embellir cette fraternelle assemblée, où tous les compagnons, vieux et jeunes, rivalisèrent de gaîté et d'entrain par leurs chants."
L'un des convives invités, le compagnon boulanger MAGNAN, "Angoumois l'Exemple de la Justice", y prononça un discours où il évoqua ses souvenirs. Il avait alors dix ans, à Angoulême, et il accompagnait son père, compagnon boulanger, à la Sainte-Catherine des charrons de la cité. Il mentionne alors ce détail qui prend toute son importance neuf mois avant le déclenchement de la Grande Guerre : "C'était au lendemain où Thiers venait de libérer la terre de la Patrie, et notre Tour de France, débarrassé de la botte de l'Allemand. Le Pays Vidalange (un compagnon charron), y fit allusion et engagea les Compagnons à penser toujours à nos Frères Compagnons d'Alsace et de Lorraine, mais de n'en parler que dans les assemblées, en signe de sincères souvenirs."
Les anciens n'avaient donc pas oublié le désastre de 1870 et le patriotisme était très fort au sein d'une grande partie de la population.
Et puis le même journal nous donne des nouvelles du "Groupe fraternel des Compagnons du Devoir sous les drapeaux", fondé quelques années plus tôt à Angoulême par le compagnon couvreur Auguste Bonvous. On apprend qu'après Angoulême, Orléans et Poitiers, une nouvelle section vient de se créer à Angers, 18, faubourg Saint-Michel. Les fondateurs sont ceux qui accomplissent leur service militaire au 6e Génie : les compagnons menuisiers O. NEGRAULT, G. NIVERT, JANTAUD, R. PROUTEAU et les compagnons charpentiers KERMELUN et PREVOST.
Décidément, on parlait beaucoup d'armée en 1913 ! On allait en parler encore bien davantage au mois d'août de l'année suivante...