1917 : l'avenir des Compagnons charrons
Durant la Grande Guerre, les compagnons du Devoir, et parfois de l’Union Compagnonnique, firent état de leurs idées sur ce que serait le Compagnonnage une fois la guerre finie. Ils les exprimèrent dans la Revue des groupes fraternels sous les drapeaux, de 1915 à 1919.
Dans le numéro de septembre-octobre 1917 la rédaction évoque « Les Compagnons Charrons du Devoir ».
Ce corps de métier était alors en pleine mutation. Composé d’ouvriers travaillant le bois pour construire des véhicules hippomobiles, d’habiles forgerons pour cercler les roues, leur activité s’était étendue à tous les types de véhicules. Dès la fin du XIXe siècle, on retrouve des compagnons charrons dans les transports en général : les compagnies ferroviaires, les tramways et les constructeurs d’automobiles, voire l’aéronautique. Mais leur société restait archaïque en d’autres points.
C’est le sens de l’article dont voici quelques extraits. Le rédacteur ne s’embarrassait pas de formules alambiquées pour dire ce qu’il pensait de ses « anciens »…
« Parmi les corporations ouvrières qui, dans les compagnonnages, comptent encore une certaine activité, il faut citer celle des Compagnons charrons du Devoir, qui, sur le Tour de France, possède quelques sièges corporatifs de valeur.
Par contre, elle est une des moins modernes, elle est restée à l’écart de toute progression sociale. D’ailleurs, son organisation désuète, caduque, forme le prototype des compagnonnages moyennâgeux.
En cela, beaucoup de corporations compagnonniques en France sont de plus en plus enclines à fournir aux musées les vestiges des sociétés ouvrières d’antan qui n’ont jamais évolué vers les hauteurs d’une solidarité sociale étendue et moderne ; telle la conçoivent nos jeunes compagnons de tous corps et de tous Rites de nos jours.
La corporation des Compagnons charrons du Devoir est divisée en trois groupes bien distincts :
1° Celui des « Anciens » dont la majorité est opposée à tout mouvement solidaire ; elle fait abstraction à toute idée de progrès ;
2° Celui des « jeunes » formant l’activité sur le Tour de France en tout ce qui concerne l’enseignement professionnel et la mutuelle corporative réunis ;
3° Celui des « Aspirants » qui est neutre.
Ces différents groupes ont des caisses séparées et vivent isolément ; d’où proviennent en partie leurs différends et leur stagnation.
La caisse des Anciens, la plus riche, la mieux gardée , est la consécration de l’inamovibilité en personne ; la gérance composée de bons vieillards intéressants autant qu’intéressés, réfractaires à toute idée de modernité sociale, est tout à l’opposé des syndicats qui ont la vitalité dans tout ce qui est actif et entreprenant.
On a cherché à certains moments à fusionner ces différentes caisses et à ne former qu’un bloc, car ces caisses mutuelles corporatives distinctes dans chaque ville ont des hauts et des bas, d’où proviennent les vicissitudes dans leur fonctionnement faute d’unité. (…)
A chaque assemblée générale qui s’est produite, le Comité des Anciens a toujours fait opposition à ce principe solidaire demandé par le deuxième groupe : celui des jeunes et de l’Activité. (…)
L’esprit du Devoir, ce fameux « Devoir et nos frères » dont les anciens eux-mêmes, imbus de traditions, vantent si beau, si grand, est une mensongère utopie, un bluff, dès qu’il s’agit de l’étendre à la fraternité généralisée envers tous.
Cette conception étroite est entre les mains d’une minorité autocrate qui fait loi dans toutes les corporations compagnonniques du Devoir, et que les jeunes compagnons désignent : les inamovibles… !
La jeunesse compagnonnique du Tour de France est bien prépondérante ; mais, par contre, elle est instable, d’où vient son manque de cohésion et d’action énergiques. (…)
L’esprit d’union au-dessus de tout : tel sera l’arbitre des destinées futures des compagnonnages de France après la guerre. (…)
Notre programme est celui de l’union des compagnonnages dans une Confédération générale des Compagnons de France. Ne biaisons pas avec les mots, il faut nommer les choses par leurs noms et le Tour de France peut reprendre progressivement sa place dans le monde des travailleurs, si les compagnons éclairés ont assez d’énergie pour s’unir avec les membres actifs corporatifs contre certains inamovibles d’intransigeance néfaste, et n’envisager qu’une seule chose : l’avenir.(…) ».