1916 : le couvreur "Angevin Cœur de France" meurt à Verdun...
Le musée conserve un grand chef-d’œuvre de couverture dont l’histoire est émouvante. En 1913, le compagnon Alfred Clément BONVOUS, Angevin Cœur de France, et son père Joseph Alfred, Angevin la Clef des Cœurs, entreprirent de reconstituer le grand chef-d’œuvre des compagnons couvreurs d’Angers. Construit en 1837 mais détruit en 1879, il n’en restait que les plans dont s’inspirèrent le père et le fils BONVOUS, couvreurs émérites dont on lira la notice biographique à partir de l’onglet GENEALOGIE du site.
La mobilisation du 1er août 1914 vint interrompre leur travail. Parti au front le 20 mai 1915, le caporal Alfred BONVOUS fils tomba au Bois de Vaux-Chapitre le 18 juillet 1916.
Son père, sublimant sa douleur, poursuivit seul l’œuvre entreprise et ne l’acheva qu’en 1922, ayant découpé et assemblé près de 7600 ardoises durant 3771 heures de travail. Il le dédia à son fils en insérant sur l’un des dômes cette mention en lettres d’ardoises finement découpées : « Bonvous Angevin la Clef des Cœurs à Angevin Cœur de France mon fils tué à Verdun 1916 / Fais bien Laisse dire N’oublions jamais 1914 / La fin couronne l’œuvre UVGT 1921 ».
On y remarque aussi les emblèmes des deux auteurs, formant une frise à l’égout du toit circulaire : une clef au centre d’un cœur renversé (la Clef des Cœurs) , une fleur de lys au centre d’un autre cœur (Cœur de France).
Un compagnon couvreur le décrivait en ces termes en 1931 : « Tout ce qui peut se concevoir de formes difficiles, d’audaces constructives, concourt à l’embellissement de cet édifice monumental. D’une embase circulaire, soutenue par une colonnade, s’élève harmonieusement une pyramide octogonale dont les noues en langue de pivert sont d’un harmonieux effet. Huit colonnettes supportent une continuité de demi-dômes allant en s’amincissant pour se terminer en un gracieux campanile dessiné par quatre outeaux, chapeauté d’une minuscule demi-sphère. »
BONVOUS père décéda à Angers en 1929. Sa veuve légua le chef-d’œuvre à la cayenne des compagnons couvreurs du Devoir de Tours. Le 15 août 1931, à l’occasion du 20e anniversaire de la fondation de la Société protectrice des Apprentis de la Ville de Tours, il fut présenté au maire, à l’hôtel de ville, en présence de 400 compagnons. Puis il fut déposé au musée compagnonnique, alors installé au musée des beaux-arts.
En janvier 1917, la Revue des Groupes fraternels des Compagnons du Devoir sous les Drapeaux publiait l’article suivant en hommage à ce valeureux compagnon :
NOS MORTS
Alfred-Clément BONVOUS
Angevin Cœur-de-France Compagnon Passant Bon Drille Couvreur
Parmi nos nombreux frères tombés glorieusement pour la Patrie et devant la tombe desquels nous nous inclinons respectueusement un, en raison de son activité et de son dévouement inlassables pour les œuvres compagnonniques, mérite une mention particulière et d’être cité en exemple.
Alfred BONVOUS était né à Angers, le 21 Avril 1888, d’une de ces vieilles familles compagnonniques d’artisans passionnés pour leur métier et pour le compagnonnage, dont George Sand a pu dire qu’elles étaient la Noblesse du travail.
Comme apprenti et ouvrier, il suivit les cours de l’Ecole Régionale des Beaux-arts d’Angers où il obtenait le 1er prix de Géométrie descriptive. Suivant les Cours Professionnels théoriques et pratiques sur l’Art du Couvreur dans ses applications techniques, cinq planches exécutées par lui furent exposées à l’Exposition Nationale d’Angers 1905.
Alors il commença son Tour de France et fut reçu à Paris le 1er Novembre 1906 sous le nom d’Angevin Cœur de France ; il travailla à Paris, à Lyon et en Belgique, puis passa par Nice, Marseille, visita la Provence et rapporta suivant la tradition, cachets et couleurs ; partout où il passa il laissa le bon souvenir fraternel d’un bon ouvrier, d’un bon Compagnon mutualiste, homme d’action moderniste.
En septembre 1911, à Tours, secrétaire du congrès des Compagnons Passants et Bons Drilles Couvreurs réunis, il prit la plus grande part aux discussions qui firent aboutir deux importantes revendications.
1° La fusion des caisses des villes du Tour de France par la formation d’une Mutuelle corporative générale dont Tours fut déclarée ville centrale.
2° La réunion des plombiers-zingueurs à la corporation des Compagnons couvreurs en un même rite.
Plus tard il fut un de ceux qui soutinrent et encouragèrent son oncle dans la création des Groupes Fraternels des Compagnons du Devoir du Tour de France sous les drapeaux, qui devaient être un nouveau lien entre les jeunes Compagnons soldats dans une même ville et qui, sans ce groupement fraternel, auraient pu s’ignorer, au lieu de bénéficier d’une solidarité bien comprise. Lui-même en fonda une section à Angers qui n’eut que quelques réunions, la guerre qui nous l’a enlevé étant survenue.
Mais il pensait aussi à l’avenir du Compagnonnage et était de ce fait un chaud partisan d’une Fédération Compagnonnique et intercompagnonnique destinée à encourager et à soutenir les petites sociétés.
Le Soldat. Appelé par la mobilisation, Alfred BONVOUS, caporal au 169e d’infanterie fut blessé une première fois le 26 septembre 1915, en Champagne.
Enfin, à Verdun, dans une attaque au Bois de Vaux-Chapitre, Angevin Cœur de France tombait pour sa Patrie, frappé en plein front, vers 5 heures du matin, le 18 juillet 1916 ; il avait 28 ans !
Le Bienfaiteur. Malgré son jeune âge Alfred BONVOUS était un homme de caractère qui ne craignait pas la mort, mais déjà pensait qu’il pouvait disparaître et prenait des dispositions testamentaires devant assurer après lui la continuation de son œuvre compagnonnique et l’avenir social du Compagnonnage.
Dans ce but, il fait un don de 2000 francs à la Caisse des Veuves, Orphelins et Mutilés de la guerre de sa corporation ; un autre don de 1000 francs afin d’aider, après la guerre, à la constitution d’un Congrès des Corporations du Devoir. Ce congrès ayant pour but de fédérer les corporations du Devoir.
Et c’est le C. Lejault, de Tours, trésorier général de la Société de Compagnons Passants Bons Drilles Couvreurs Zingueurs Plombiers, qui est chargé de l’exécution de ses dernières volontés.
Voilà l’homme de cœur, l’ouvrier d’élite, la vrai Compagnon dans toute l’acceptation du terme, dans toute la noblesse du titre qui vient de disparaître.
Le Compagnonnage vient de faire en lui une perte cruelle mais de tels hommes d’élite ne disparaissent pas entièrement, leur souvenir, l’exemple qu’ils ont laissé ne peuvent périr, ils ont semé le bon grain dans la bonne terre, la moisson sera riche.
Alfred BONVOUS d’Angers, dit Angevin Cœur de France, restera pour les jeunes un modèle d’abnégation et de dévouement sincères à la cause compagnonnique à laquelle il s’était entièrement consacré.
Dans le Livre d’Or de notre Devoir son nom sera pour les générations successives un immortel souvenir où elles puiseront dans l’exemple : la virilité qui fait les hommes de cœur.
BON (Mathurin)
C. P. Couvreur, de la cayenne de Paris.
Citation à l’ordre de la Division « Alf. BONVOUS, bon caporal, brave, courageux, le 18 juillet 1916 s’est élancé courageusement en avant à l’attaque par surprise d’un point d’appui occupé par l’ennemi, a été grièvement frappé au cours de l’attaque. »
Le 10 Août 1916.
Le Général Riberpray
(128e Division).