Le tour de France
Le voyage est l’une des caractéristiques du Compagnonnage. Il s’agit pour le jeune ouvrier de se rendre dans différentes villes où sont implantés les sièges des associations, d’y prendre pension et de travailler dans les ateliers ou chantiers avec lesquels des conventions sont passées. Le jeune homme découvre des techniques différentes d’une entreprise à une autre, durant les six mois ou un an durant lesquels il est embauché. Le tour de France dure de cinq à huit ans, parfois plus ou moins, tout dépend de la volonté de celui qui voyage.
Dans chaque ville du tour se trouve aujourd’hui un siège comprenant un restaurant, des chambres, des salles de réunion et de cours, des ateliers. Mais les maisons de compagnons étaient jusqu’au milieu du XXe siècle des auberges. Les compagnons passaient une convention avec les patrons de l’établissement, assurés d’accueillir une clientèle nombreuse. En contrepartie, la patronne, qui prenait le titre de « Mère », était profondément respectée et ses hôtes s’engageaient à ne laisser aucune dette à leur départ.
L’institution de la Mère s’est perpétuée dans le Compagnonnage mais ses fonctions sont désormais plus celle d’une économe et d’une conseillère que celle d’une aubergiste.
La géographie du tour de France a beaucoup évolué depuis un demi-siècle et l’implantation des associations compagnonniques concerne désormais des régions autrefois ignorées des compagnons de passage (Bretagne, Normandie, Nord-Picardie, Alsace, Massif central) ainsi que des pays étrangers (Allemagne, Angleterre, Pays-Bas, Suisse, etc.). Il est même possible a des jeunes de travailler au-delà de l’Europe, sur tous les continents.
Le tour de France permet également une ouverture culturelle. La découverte du patrimoine de nouvelles villes ainsi que la rencontre d’autres ouvriers et d’autres patrons, développent l’éveil intellectuel et la maturité.
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, le tour de France suivait à peu près le cours des fleuves et des côtes atlantique et méditerranéenne. Un réseau de villes jalonnait ce parcours. Le compagnon de passage était assuré d’y trouver le gîte et le couvert et une liste d’adresses pour être embauché par l’intermédiaire d’un compagnon élu à cette fin, le « rôleur » ou « rouleur ». On distinguait les villes de réception ou villes de boîte (où était conservée la « boîte » qui renfermait le « livre de Devoir »), et les villes bâtardes ou de second ordre.
Au XIXe siècle, l’implantation des associations de compagnons a été relevée à Paris, Orléans, Chartres, Blois, Amboise, Tours, Azay-le-Rideau, Le Mans, Poitiers, Saumur, Angers, Nantes, Niort, Fontenay-le-Comte, La Rochelle, Rochefort, Angoulême, Cognac, Limoges, Bordeaux, Agen, Toulouse, Villeneuve-sur-Lot, Tonneins, Montauban, Rodez, Montpellier, Sète, Narbonne, Béziers, Nîmes, Avignon, Marseille, Toulon, Vienne, Romans, Grenoble, Lyon, Saint-Etienne, Mâcon, Dijon, Beaune, Chalon-sur-Saône, Auxerre, Nevers, Troyes. Une ou plusieurs associations compagnonniques y avaient établi un siège. Certaines spécialités industrielles ont aussi entraîné l’implantation des compagnons de certains métiers, attirés par les possibilités d’embauche : la mégisserie et la chamoiserie à Niort, Romans, Annonay ; le tissage à Lyon, Saint-Etienne, Nîmes, Tours, Elbeuf, Rouen, Amiens ; la coutellerie à Thiers et Nogent-en-Bassigny ; la corderie à Rochefort, Toulon, Angers ; la tonnellerie à Cognac, Bordeaux, Sète, Mâcon, Beaune, Tours et autres villes situées en pays de vignobles.
Depuis le milieu du XXe siècle, certaines de ces villes ne sont plus des lieux de vie compagnonnique, mais d’autres ont été fondées à Brest, Caen, Le Havre, Strasbourg, Nancy, Lille, Arras, Anglet, Tarbes, Colomiers, etc.
Le voyage du compagnon d’autrefois s’effectuait en partie à pied, pour des raisons économiques, mais lorsque ses moyens le lui permettaient, il empruntait les voitures attelées ou les bateaux sur les fleuves. Aujourd’hui, c’est par le train, la voiture ou même l’avion qu’il va de ville en ville ou à l’étranger.
Contrairement à une idée reçue, le tour de France ne suivait pas nécessairement le sens des aiguilles d’une montre, ni le sens contraire. Les compagnons voyageaient du sud au nord ou d’est en ouest, ou l’inverse. Cependant, en général, ils ne revenaient pas sur leurs pas. Depuis le XXe siècle, compte tenu de la dispersion des sièges compagnonniques et des possibilités d’embauche programmées avec les entreprises d’accueil, le parcours du tour de France n’est plus linéaire.
Quant aux sièges des compagnons, il s’agissait d’auberges tenues par un couple qui n’avait pas forcément d’attaches avec le Compagnonnage. Le mari n’était pas obligatoirement un ancien compagnon. Les compagnons disaient qu’ils se rendaient « chez la Mère ». Ils se réunissaient « en cayenne » ou « en chambre » selon les corps de métiers. Il y avait un siège par association, mais les aubergistes pouvaient être choisis par deux ou trois sociétés aux effectifs réduits. On disait qu’ils « faisaient Mère ensemble ».
Depuis la restructuration du Compagnonnage dans les années 1950, les sièges abritent tous les corps de métiers d’un même mouvement et leur capacité d’accueil est beaucoup plus importante. Il s’agit d’établissements, de « maisons », souvent aménagés dans des immeubles rénovés ou modernes, qui n’ont plus rien à voir avec les petits hôtels-restaurants d’autrefois.