Le Noël des compagnons menuisiers
Au début du XVIIIe siècle les compagnons menuisiers du Devoir publièrent un recueil de poèmes et de récits en vers sous le titre de « La Petite varlope en vers burlesques ». Y figurent un « Noël nouveau composé par les Compagnons Menuisiers de la Ville de Dijon ».
En voici le thème : les compagnons menuisiers, avisés de la naissance de Jésus, s’affairent à lui construire tous les meubles pour remplacer la paille de la crèche. Ceux de Nantes « ont conclu à l’assemblée De lui faire en diligence Un berceau pour le coucher » ; à Bordeaux « ils ont pris toutes les mesures pour faire le lambris » ; à Toulouse « on travaille joyeusement à faire fauteuils et chaises » et à Montpellier « à la couverture et au plancher du bâtiment ». A Arles les menuisiers lui font une crédence « pour lui serrer ses habits ». Ceux de Dijon travaillent « à grande presse A faire des croisées de chêne Et des volets par-dessus » tandis qu’à Paris on fait « des chœurs d’église, Des chaires à prêcher » pour annoncer la naissance du Messie. A Orléans, les compagnons font un autel, un tabernacle et des buffets d’orgue » et à Angers « quatre petites colonnes pour faire un dais ».
Tous les compagnons des villes citées, et ceux de Lyon aussi, viennent apporter leurs présents à Jésus. Mais survient un épisode inattendu : les Gavaux (les compagnons « non du Devoir », leurs rivaux) sont aussi « venus à l’étable croyant être bien reçus ». Or, ils ne le sont pas : le bœuf leur donne de sa corne, et l’âne du pied « pour les faire retirer ». Jésus leur dit alors : « Retirez-vous au plus vite, Vous êtes des fanatiques ; Je ne souffre point chez moi Que des Compagnons du Devoir. » Alors, à ces paroles « aussitôt ils se sont convertis » et s’en allant chez le Père des compagnons ils demandent : « Les Compagnons sont-ils ici ? Faites-nous leur parler au plus vite, Nous allons nous rendre catholiques, Et nous faire recevoir Pour Compagnons du Devoir ».
Sous une apparence comique, les quinze couplets du « Noël nouveau » sont importants sur le plan historique. Outre qu’ils nous donnent la liste des villes-sièges des compagnons menuisiers du Devoir, ils attestent que ces derniers considéraient les Gavaux comme des compagnons protestants, ce que l’étude historique dément en ce sens que les Gavaux comprenaient en leurs rangs aussi bien des protestants que des catholiques : la religion n’intervenait pas dans leur recrutement.
Mis en ligne le : 30/11/2018