Quelles archives ?
Une fois évités tous les pièges évoqués plus haut, vous allez pouvoir affirmer que votre ancêtre était bien un compagnon du tour de France si vous découvrez dans un documents des mots-clés ou si vous avez conservé certains objets.
Sur le plan du vocabulaire, les compagnons emploient des mots spécifiques dans le cadre de leurs relations internes. Ce n’est donc jamais dans un document public relatif à une personne, sauf exception, que vous rencontrerez les mots coteries, pays, Devoir, passage, chien blanc, gavot, mère, cayenne, chambre, premier en ville, etc. avec le sens particulier que leurs donnent les compagnons. Et ce, d’autant plus que les compagnonnages n’ont pas d’existence légale. Toutefois, certains actes notariés de l’Ancien Régime mentionnent parfois le surnom des personnes concernées. Un artisan tailleur de pierre ou maçon pourra être désigné par son patronyme suivi d’un surnom tel que « dit la Bonté » ou « dit l’Assurance ». C’est un indice intéressant, quoique pas absolument fiable, de l’appartenance d’un individu à un compagnonnage durant sa jeunesse. De même, des surnoms de province, tels que « dit Nantais », « dit Bourguignon », peuvent le suggérer. Mais il faut rester prudent : la pratique des sobriquets était jadis courante. En revanche, un document donnant le surnom complet d’un artisan, comme Tourangeau la Bonté ou La Prudence de Chartres, atteste sans équivoque qu’il s’agit d’un compagnon.
En général, les seuls documents publics où l’on peut trouver mention des compagnons sont les documents de police et les documents judiciaires (archives des sénéchaussées, bailliages, lieutenants de police, sous l’ancien Régime) et archives des tribunaux correctionnels, au XIXe siècle. Impliqués dans des rixes et des grèves, les compagnons déclinent leur identité et certains donnent le parcours complet de leur tour de France. Une mine pour le généalogiste ! Malheureusement, il est impossible de se lancer à l’assaut de ces montagnes d’archives sans savoir au préalable si le compagnon que vous avez identifié a eu maille à partir avec les autorités, en quelle ville et à quelle époque. Car beaucoup de compagnons accomplissaient leur tour de France de façon paisible ou réglaient leurs différends entre eux, sans que la police n’en sache rien.
On peut aussi avoir la main heureuse en consultant les archives municipales et départementales (notamment celles classées en série M). A partir des années 1830-1840, le dépôt des statuts de sociétés de secours mutuels et d’associations, parfois aussi de chambres syndicales, et les observations des maires et des préfets, permettent de retrouver la trace de compagnons qui ont transformé leur société pour lui donner une existence légale ou bien ont intégré d’autres groupements à titre individuel. Les commentaires des autorités, qui font parfois procéder à une enquête de police sur les responsables de l’association avant de les autoriser, permettent d’obtenir de précieuses informations sur le passé de tel ou tel compagnon.
Les documents d’ordre privé, propres au compagnon, qui ont pu vous être transmis au fil des générations ne remonteront que très exceptionnellement au delà du XIXe siècle. Il pourra s’agir d’affaires ou de carrés, c’est-à-dire de documents manuscrits ou imprimés permettant au compagnon de se faire identifier comme tel lors de son tour de France. On peut retrouver aussi des cahiers manuscrits de chansons de compagnons, ou encore des invitations à des fêtes (la Saint-Joseph des charpentiers, la Saint-Éloi des maréchaux-ferrants, la Sainte-Anne des menuisiers…), des cartes d’aspirants dans certains corps (les menuisiers, les vanniers), des lettres écrites entre compagnons, des convocations à des réunions, des carnets de cotisations. Plus rares sont les registres des membres de la société, ceux des amendes, des cotisations, des départs et arrivées, les règles ou Devoirs. Ces documents internes ont pu être conservés par le compagnon lorsqu’il faisait fonction de secrétaire et avoir été conservés chez lui après sa mort ou après l’extinction du siège de sa société dans une ville.