Ouvriers voyageurs non compagnons
Les choses se compliquent un peu lorsque vous découvrez que ce « compagnon » a voyagé, qu’il a fait, vous semble-t-il, son tour de France. Tel parent vous l’a affirmé, vous avez retrouvé des lettres envoyées à sa fiancée depuis diverses villes, et mieux encore, vous êtes en possession de son « passeport pour l’intérieur » ou de son « livret d’ouvrier ». Naturellement, vous qualifiez ce carnet de « livret de compagnon » puisqu’il mentionne ses employeurs successifs, et permet de retracer son parcours à travers une région ou la France entière.
Méfiance encore : nombreux étaient jusqu’au début du XXéme siècle les ouvriers de divers métiers (y compris non compagnonnisés) qui voyageaient au cours de leur jeunesse pour voir du pays, une fois leur apprentissage achevé. Beaucoup n’intégraient jamais une société compagnonnique. Quant au livret d’ouvrier, il faut rappeler qu’il avait été institué en 1803, pour contrôler les déplacements des ouvriers, qu’ils soient ou non compagnons, et qu’ils voyagent ou non. Imprimé obligatoire, il devait être visé par le commissaire de police ou le maire de la ville, à chaque déplacement, et l’employeur y mentionnait la durée de la présence de l’ouvrier dans son atelier.
Cependant, s’il n’atteste pas formellement la qualité compagnonnique de son possesseur, ce document n’est pas à négliger. Les exemplaires que l’on peut retrouver permettent de confirmer le parcours d’un compagnon identifié comme tel par d’autres sources. Le fait qu’il travaille dans les villes où se trouvait un siège de sa société permet d’affirmer avec de fortes probabilités qu’il s’agissait bien d’un compagnon du tour de France. Le livret d’ouvrier a été aboli en 1892 mais on en découvre des exemplaires utilisés jusque dans l’entre-deux-guerres comme supports de certificats de travail.