1915 : Que deviendront les compagnons mutilés de Guerre ?
La Revue des Groupes fraternels sous les drapeaux renferme des articles qui montrent que les compagnons n’ont cessé de réfléchir à l’avenir de leurs institutions après la guerre. Cette revue, animée par le compagnon couvreur Auguste BONVOUS de 1915 à 1919, a été le creuset de ce que sera le Compagnonnage des 20 années qui ont suivi l’armistice.
Dans le numéro d’octobre 1915, son frère, Alfred BONVOUS, se penche sur « Les mutilés et orphelins et nos écoles professionnelles ». Voici un extrait de son article :
« À côté de ceux qui sont partis il y a ceux qui restent. Si nous devons honorer et glorifier les premiers, aux seconds nous devons notre dévouement, notre appui, notre aide.
Ces derniers, nous pouvons les diviser en trois catégories : les mutilés, les inaptes, les orphelins.
Tous les mutilés seront obligés par suite de la perte d’un membre, de s’adonner s’ils le peuvent à une autre profession ; déjà, dans beaucoup de villes, des groupements s’occupent d’eux. Nous pourrions peut-être entrer en relation avec ceux-ci pour tâcher de trouver aux nôtres, malheureusement dans ce cas, une position se rapprochant de leur métier ou en dépendant, afin de permettre à ces braves de regarder l’avenir sans frayeur.
Quant aux inaptes ne pouvant plus reprendre leur métier par suite de leurs blessures, il faudra qu’ils cherchent d’un autre côté leur gagne-pain. Dans nos écoles certains métiers stables peuvent se présenter à eux : bourrellerie, cordonnerie, tournage, etc. Probablement en suivant nos cours, pourrions-nous les instruire et les placer.
Pour ces deux catégories, certains pourraient certainement prendre des places de professeur dans les écoles corporatives. La classe ouvrière aura perdu assez de brillants ouvriers, d’artistes pour mieux dire, et devra songer à ne pas perdre complétement le patrimoine de sciences des temps passés et qui, malheureusement, commençait à disparaître.
Aux derniers, aux orphelins, nous devons servir de pères à ces pauvres petits. À Lyon, notre école avait organisé pour leur apprentissage une méthode assez juste. Il faudra l’étendre le plus possible pour les fils de ceux qui furent nos Frères et sont tombés pour nous. C’était un exemple, c’est un commencement.
À tous, nos sociétés doivent leurs plus grandes pensées. »
Et ils furent nombreux, les compagnons mutilés qui ne purent reprendre leur métier une fois démobilisés : le charpentier Marcel PELLUCHON, Saintonge la Fermeté (1892-1984), qui perdit un bras ; le boulanger Charles BARDON, Parisien la Clef des Cœurs, dont un éclat d’obus chemina des années durant pour atteindre le cœur en 1940 ; le tonnelier Georges GOURRAUD, de Tours, qui mourut à 32 ans des suites d’une maladie contractée durant la guerre ; le tisseur Pétrus SALICHON, Forézien Plein de Zèle, mort en 1925 pour la même raison ; le tisseur Alfred HUTEAU, Tourangeau le Vigilant, mort en 1932 des suites de mutilations mal soignées ; le charpentier Camille MICHON, mort en 1927 des suites de fièvres contractées en Orient… Plusieurs d’entre eux avaient pris un petit commerce ou un café-restaurant, mais ne pouvaient plus exercer le métier qu’ils avaient appris…