Perdiguier et la loi électorale de 1850
Le compagnon menuisier du Devoir de Liberté Agricol PERDIGUIER, Avignonnais la Vertu, fut élu « représentant du peuple » (député) en 1848. Il siégeait avec les républicains, à « la Montagne ». Ses interventions ne sont pas très connues.
M. Patrick FONTENEAU a eu la gentillesse d’offrir à la bibliothèque du musée un petit volume comprenant les trois « Almanach du Peuple » pour 1850, 1851 et 1852. Celui de 1852 comporte un long article d’Agricol PERDIGUIER sur « La loi électorale du 31 mai 1850 et les vagabonds ».
Elle avait été votée à la suite des élections de 1850, qui avaient été favorables aux démocrates-socialistes. La partie conservatrice de l’assemblée législative réagit en retirant le droit de vote à une grande partie de l’électorat populaire, notamment en imposant une condition de domicile pendant 3 ans (au lieu de 6 mois en 1848) et l’attestation du paiement d’un impôt local. D’un coup, elle réduisit d’un tiers le nombre d’électeurs.
PERDIGUIER réagit vivement à ce qu’il considérait comme une atteinte au suffrage universel. Il pensait évidemment aux compagnons, qui, durant leur tour de France, ne résidaient pas trois ans dans une même ville et donc ne pouvaient plus voter. Voici quelques extraits de son article :
« Les ouvriers qu’on avait tant vantés, tant cajolés après les journées de Février, n’étaient plus des héros aux yeux de beaucoup de représentants. Celui qui travaille beaucoup doit-il avoir des droits ? tel n’est pas l’avis de plus d’un représentant conservateur. « Quand on travaille, dit M. Heeckeren, depuis quatre heures du matin jusqu’à huit heures du soir, on n’a pas le temps de lire les journaux, de faire de la politique. » (…) Laissons parler M. Thiers : « C’est la multitude, ce n’est pas le peuple que nous voulons exclure ; c’est cette multitude de vagadonds dont on ne peut saisir le domicile, ni la famille, si remuants qu’on ne peut les saisir nulle part, qui n’ont pas su créer pour leur famille un asile appréciable ; c’est cette multitude de vagabonds que la loi a eu pour but d’éloigner… Ces hommes que nous avons exclus, sont-ce les pauvres ? Non, ce n’est pas le pauvre, c’est le vagabond. »
Un autre député, Léon FAUCHER, alla plus loin : « Quels sont les ouvriers qui perdront leur droit de vote ? C’est une classe d’ouvriers rouleurs, qui s’éloignent de la commune où ils sont nés et connus, sans esprit de retour ; c’est une classe d’ouvriers qui n’ont pas de famille ; c’est une classe qui s’excède souvent de travail pour s’excéder ensuite de boisson ; c’est une classe qui ne connaît pas de Dieu ! C’est une classe qui vit trop souvent dans la prostitution. »
PERDIGUIER s’insurgea contre ce langage. Il rappela les termes de la Constitution de 1848 : « La souveraineté réside dans l’universalité des citoyens français. L’élection a pour base la population. Le suffrage est direct et universel. Sont électeurs, sans condition de cens (c’est-à-dire sans tenir compte de leur fortune) tous les Français âgés de vingt-et-un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques. « (…)
Et il cita un exemple d’injustice en se souvenant de son pays natal : « Vous habitez, ô vous, quatre Hercule de mon village, frères Renaud, mes amis, la maison où vous êtes nés, avec votre père devenu veuf, qui a usé de son droit en votre faveur ; vous êtes citoyens ! Mais votre père se remarie ; il quitte le toit qui vous abritait tous, il va demeurer chez sa nouvelle épouse… Votre qualité disparaît aussitôt, vous êtes des vagabonds et votre père, en quittant Morières pour Avignon eut changé de commune, il serait lui-même un vagabond.
« Qu’il faut peu de choses pour faire d’un honnête homme, de l’homme le plus considérable, un vagabond, un indigent, un ivrogne, un prostitué ! Je viens de le prouver par des exemples saisissants, incontestables, et on me rendra cette justice de convenir que je l’ai fait avec modération. »
La loi du 31 mai 1850 ne fut appliquée qu’une seule fois, à Paris, lors d’une élection complémentaire, en novembre 1851. Puis elle fut abolie le 2 décembre 1851… par le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon III…