1er Mai 1937 : Abel Boyer veut voir défiler les Compagnons
C’est à partir de 1890 que des manifestations et défilés ont été organisés le 1er mai par les syndicats et mouvements socialistes, pour obtenir la réduction de la journée de travail à 8 heures. Après des éclipses, des autorisations et interdictions, des dénominations différentes, c’est en 1948 qu’est officialisée celle de « Fête du Travail » et que le 1er mai est un jour férié, chômé et payé.
Ce n’était pas le cas il y a 80 ans et le compagnon maréchal-ferrant du Devoir Abel BOYER, Périgord Cœur Loyal, prit sa plume pour exprimer ses idées. Dans le contexte politico-social de l’après 1936, il publia un long article dans le journal Le Compagnon du Tour de France du 1er avril 1937. Son opinion est intéressante car rares sont les prises de position des compagnons sur des sujets qui vont au-delà du métier et de leurs traditions.
En voici des extraits.
« LA FETE DU TRAVAIL
Depuis un demi-siècle et plus, les travailleurs du monde entier demandent qu’un jour dans l’année, et qu’ils ont fixé au premier mai, soit décrété fête du Travail. (…) C’est ce que j’ai demandé à un Ministre du Travail, il y a dix à douze ans de cela. J’ai dit également que les Compagnons, qui ne poursuivaient aucun but révolutionnaire, seraient heureux que le Premier Mai, décrété fête officielle du Travail, puissent défiler dans les rues de Paris, précédés de leurs chefs-d’œuvre (…). Le Ministre de l’époque me fit une réponse que je possède encore et qui dit : « Votre lettre m’a fort intéressé, aussi je la verse au dossier de la question. »
Le dossier dort, et si la proposition dont la presse s’est fait plusieurs fois l’écho sur la nécessité de décréter le Premier Mai Fête du Travail, est entendue, le dossier se réveillera !
Puisse enfin un gouvernement qui dit s’appuyer sur les travailleurs, faire droit à ce vœu tant de fois renouvelé du monde du Travail.
Parasites, ne tremblez pas, la foule immense des travailleurs n’est pas une horde pillarde, désireuse de mettre à sac ce que ses mains ont créé. Les travailleurs sont fiers de la cathédrale, où vous allez prier, de l’hôtel majestueux que vous habitez, des palais où toute leur science s’étale pour votre jouissance. Les travailleurs jouissent eux aussi de toutes ces merveilles par un organe qui est la vue.
Ils respectent et respecteront toutes ces richesses accumulées dans ces vastes magasins qui feront haie sur leurs cortèges. Un travailleur crée et ne détruit pas.
Ce n’est pas en les provoquant par la présence de troupes, de forces de police, qui est une insulte à leur esprit pacifique, que vous créerez l’atmosphère d’une fête du Travail. Pourquoi traiter les travailleurs comme des escarpes ? Que les cortèges soient libres, ils sauront se discipliner eux-mêmes. Patrons ou ouvriers se doivent d’y participer, ce serait ainsi la fête de la Nation, la fête de tous, une fête de réconciliation, d’estime, de respect. A quoi sert d’aigrir les caractères, à quoi sert de diviser les hommes et encore moins ceux qui, à des titres divers, contribuent à la vie, à la prospérité de tout un peuple ?
Nous voulons une fête pour nous, nous voulons, le Premier Mai 1937, défiler dans les rues de Paris, rouleurs en tête, cannes en mains, couleurs flottantes, derrière nos chefs-d’œuvre, symboles de labeur honnête, icônes de la religion qu’enseigne le Compagnonnage et sans passions politiques. »
Le vœu d’Abel BOYER ne se réalisa jamais et il décédera à Beauvais en 1959, nostalgique de la grande époque des compagnons formant de longs cortèges dans les rues, lors de leurs seules fêtes corporatives.