La fraternité
Le mot « compagnon » tire son étymologie de deux mots latins : « cum » (avec) et « panis » (pain). Le compagnon est celui avec qui on partage son pain, comme le « copain », qui a la même origine. Les compagnons ont donc pour devoir de se prêter assistance mutuelle, se secourir, s’entraider. Cette obligation repose sur la notion de fraternité.
Tous les compagnons d’une même association sont des « pays » ou des « coteries », termes qui signifient « frères, camarades ». Sont des pays ceux qui travaillent au sol (menuisiers, serruriers, boulangers, chaudronniers, cordonniers, etc.) et sont des coteries ceux qui travaillent sur des échafaudages (tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, plâtriers, couvreurs ainsi que les plombiers, qui sont issus des couvreurs).
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les associations de compagnons n’étaient composées que de jeunes gens qui accomplissaient leur tour de France. Une fois revenus au pays, ou devenus sédentaires, mariés, établis patrons, ils « remerciaient » leur société, c’est-à-dire qu’ils la quittaient. Durant les quelques années où ils vivaient pleinement leur compagnonnage, les liens étaient très forts entre eux. Ils partageaient les peines et les bons moments de cette vie communautaire et aventureuse dans les villes où ils séjournaient. Une part de leur salaire était versée dans la « boîte » lors des réunions ou « assemblées ».
Les sommes recueillies, souvent chaque dimanche, ou lors de cotisations spéciales, servaient à secourir les compagnons de passage qui ne trouvaient pas à s’employer. Elles servaient aussi à compenser la perte du salaire en cas de maladie ou d’accident du travail. Les compagnons étaient obligés de se rendre chez les malades hospitalisés. Les fonds de la boîte servaient également à régler les obsèques de ceux qui décédaient loin de leur famille. Ils étaient aussi employés pour les réjouissances collectives du groupe : départs d’une ville précédés d’une « conduite » et d’ « arrosages », banquets lors de la fête patronale.
Enfin, la solidarité compagnonnique se manifestait lorsqu’un Pays ou Coterie se trouvait emprisonné à la suite d’une rixe ou recherché par la police. Par ailleurs, si les maîtres ne traitaient pas bien les compagnons ou refusaient d’élever leur salaire, ceux-ci désertaient l’atelier ou la ville, les privant d’une main-d’œuvre qualifiée (c’est ce qui s’appelait la « mise en interdit »). Durant cette période de grève, la boîte assurait aux compagnons de quoi subsister jusqu’à ce que l’augmentation de salaire soit accordée.
A la fin du XIXe siècle, les compagnons instituèrent également des caisses de retraite.
Durant plusieurs siècles, le Compagnonnage a donc joué le rôle d’une société de secours mutuels et d’un syndicat ouvrier. Ces fonctions ont peu à peu disparu lorsque les chambres syndicales ont été créées (1864 puis 1884) ainsi que les sociétés de secours mutuels, l’assurance maladie et l’assurance retraite. Il n’en subsiste pas moins un devoir d’assistance et de fraternité entre tous les compagnons.