Le chef d'œuvre
Être compagnon, c’est mériter un titre et la reconnaissance de ses pairs. Cela suppose d’abord d’être un ouvrier compétent dans son métier. Le candidat doit donc le prouver en fabriquant un chef-d’œuvre ou travail de réception.
Le mot de « maquette » s’est imposé depuis quelques années, bien qu’il ne reflète pas exactement la nature de ce travail. En effet, il s’agit pour le futur compagnon de réaliser un objet de dimensions variables et qui n’est pas forcément le modèle réduit d’un objet utilitaire. Les chefs-d’œuvre de réception sont, par exemple, pour un menuisier, une maquette d’escalier variant de quelques dizaines de centimètres de hauteur à un ou deux mètres.
De plus, le jeune ouvrier s’efforcera de prouver par ce travail qu’il connaît parfaitement les coupes et les assemblages, en compliquant la forme de l’escalier de telle façon qu’il ne serait pas réellement réalisable grandeur nature aussi parfait que possible, tel celui du compagnon serrurier Ange le Dauphiné (1809), dérobé à Marseille vers 1942.
Un jeune cordonnier a réalisé il y a quelques années quatre chaussures de modèles différents cousues sur une semelle unique, d’où un objet techniquement parfait, esthétique et original mais évidemment inadapté à un usage pratique. Parfois le chef-d’œuvre consiste à confectionner un travail grandeur nature, qui s’incorporera dans la maison des compagnons (une porte, une partie de couverture, le pavage d’une salle en pierre de taille…). De ce type sont aussi les chefs-d’œuvre des boulangers, pâtissiers et cuisiniers, qui doivent respecter les règles de la cuisson, être beaux et appétissants, témoigner de la maîtrise du mélange des ingrédients…et être bons au goût, car ils sont dégustés.
La finalité du chef-d’œuvre reste toujours la même : prouver que l’on connaît son métier. Il est examiné par les autres compagnons qui en font une critique sévère à la mesure des exigences attachées au titre de compagnon. Cette épreuve précède les cérémonies d’adoption puis de réception.
On distingue plusieurs catégories de chefs-d’œuvre, dont le dénominateur commun est toujours d’être un objet unique, remarquable, aussi abouti que possible. Le chef-d’œuvre ou travail de réception précède l’admission à l’état de compagnon. Celui d’adoption, à l’état d’aspirant. Les chefs-d’œuvre de compétition et de défi appartiennent au passé : lorsque deux associations de même métier mais d’origine différente voulaient s’évincer pour s’assurer le monopole de l’embauche dans une ville, elles organisaient un concours. Un ou plusieurs compagnons désignés par chaque société devaient réaliser un chef-d’œuvre aussi parfait que possible, comme ce fut le cas à Marseille chez les compagnons serruriers en 1808-1809.
Il existe aussi des chefs-d’œuvre confectionnés par des compagnons pour le seul plaisir de vaincre les difficultés, en guise de passe-temps. D’autres ont été conçus au XIXe siècle pour affirmer la valeur du Compagnonnage dans une ville : ils étaient présentés lors des expositions professionnelles et promenés dans les rues de la ville lors de la fête patronale (chez les charpentiers, couvreurs, charrons et menuisiers). Certains chefs-d’œuvre ont été réalisés pour remercier des bienfaiteurs. D’autres encore pour accéder au titre de Meilleur Ouvrier de France.