Le tour de France
Une fois fini leur apprentissage et après avoir été reçus compagnons, les jeunes gens pouvaient voyager, faire leur tour de France, en bénéficiant d’un réseau de lieux d’accueil : les auberges tenues par le père et la mère. Là, un compagnon (le rôleur) se chargeait de leur trouver une embauche. Sinon, ils continuaient leur tour et recevaient quelques subsides pour voyager.
Le tour de France s’effectuait en passant par les villes situées en général le long des grands fleuves et des côtes, parfois avec quelques écarts si les compagnons de tel ou tel métier y avaient établi un siège. Paris, Orléans, Chartres, Le Mans, Blois, Tours, Saumur, Angers, Nantes, La Rochelle, Fontenay-le-Comte, Angoulême, Rochefort, Bordeaux, Toulouse, Montauban, Béziers, Nîmes, Avignon, Marseille, Vienne, Lyon, Beaune, Dijon, Troyes, Auxerre, Sens, étaient des villes de passage. Selon les époques et selon les sociétés, d’autres villes ont été des villes-sièges : Poitiers, Niort, Thiers, Nogent-en-Bassigny, Autun, Carcassonne, Valence, Amboise, Limoges, Nevers, Mâcon, Châlon-sur-Saône, Amiens, Saint-Etienne, Elbeuf…
Sauf exceptions liées à la présence d’une activité particulière ici et là (les coutelleries de Thiers et de Nogent, ou les soieries d’Elbeuf, d’Amiens), les villes-sièges des sociétés compagnonniques n’étaient pas situées au nord de la France, au-delà d’une ligne passant de Nantes par Laval, Le Mans, Chartres et Paris et, à l’est, au-delà de Troyes, Mâcon, Beaune, Dijon, Lyon et les villes voisines du Rhône. Les provinces de Bretagne, Normandie, Picardie, Flandres, Franche-Comté, Lorraine, Alsace, et la zone alpine, n’étaient pas des régions d’implantation compagnonnique. Pas plus que le Limousin, l’Auvergne, le Quercy, le Rouergue et, au sud de la Garonne, les Landes et la zone pyrénéenne.
Cela ne signifie pas que des compagnons n’aient pas été natifs de ces régions. Il y en eut beaucoup, au contraire, qui quittèrent leur pays natal pour entreprendre leur tour de France, mais il leur fallut s’affilier à une société située hors de leur province.
La durée du tour de France était très variable. Deux, trois, cinq, sept ans ou plus, selon les individus, leur goût de l’indépendance, le plaisir d’être entre pays et coteries, l’absence de liens familiaux, etc. La durée du séjour dans chaque ville dépendait aussi, bien sûr, du travail proposé dans les ateliers ou de l’importance des chantiers. Le fait de se déplacer à pied, en étapes de 30 ou 40 kilomètres, ou au contraire par voitures attelées ou bateaux (coches d’eau), ralentissait ou accélérait le déplacement du compagnon.
Dans la plupart des sociétés, le compagnon qui se sédentarisait après avoir trouvé un emploi stable, qui se mariait ou qui désirait s’établir à son compte, était contraint de remercier sa société. Cela signifiait qu’il devait la quitter libre de tout engagement. Il ne lui devait plus rien, il cessait de cotiser (de verser à la boîte) en prévision des secours, il ne participait plus à sa vie active (les votes, les embauches, les sanctions, les réceptions). En contrepartie, en cas d’accident du travail, de chômage, de difficultés diverses, sa société ne lui devait plus rien. Bien entendu, il conservait un lien moral avec elle, des souvenirs, une tendance naturelle à la défendre et à pousser d’autres jeunes ouvriers à la rejoindre. Mais on mesure que la vie compagnonnique durait quelques années seulement et se confondait avec la durée du tour de France, ce qui limite les sources pour les généalogistes.
A partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, le remerciement tendra à disparaître et les compagnons continueront, même âgés, mariés, sédentaires et à leur compte, à participer à l’activité de leur société ou bien se constituent en corps des anciens.
De nos jours, les compagnonnages ne sont plus des sociétés de jeunes gens salariés s’administrant entièrement par eux-mêmes, comme autrefois, mais des sociétés mixtes, composées de salariés et de patrons. Les « itinérants », apprentis, aspirants, jeunes sur le tour, sont encadrés aussi bien par des compagnons qui poursuivent leur tour que par des sédentaires et des personnes qui n’ont pas la qualité de compagnons (secrétaires, directeurs de formation, comptables, bibliothécaires, etc.).