Les compagnons qui changent d'activité
La qualité de compagnon était acquise au cours de la jeunesse, entre 18 et 30 ans. Mais la vie d’un homme est longue. Bien des évènements vont contribuer à égarer le chercheur qui veut savoir si son aïeul était bien un compagnon. Tous les cas de figure peuvent se présenter. En voici quelques exemples. Un jeune charpentier est reçu compagnon à 20 ans. Il accomplit son tour de France durant cinq ans puis remercie sa société. Il n’entretient plus aucune relation avec elle parce qu’il est revenu s’établir dans un village d’Auvergne. Si vous ne disposez d’aucun témoignage de sa vie compagnonnique, vous ne découvrirez jamais qu’il a été compagnon. Autre exemple : vous découvrez que votre ancêtre tenait un cabaret ou un hôtel, ou qu’il exerçait un commerce. A priori, ces activités n’ont rien à voir avec le monde des métiers et du Compagnonnage et vous vous demandez bien pourquoi l’on disait dans votre famille que le grand-père avait fait son tour de France. Et pourtant, la tradition familiale reposait peut-être sur une vérité.
En effet, après les années 1850, il y eut de nombreux compagnons qui continuèrent d’entretenir des liens étroits avec leur société, la présidèrent même, tout en exerçant une activité sans rapport avec leur métier d’origine. Tel compagnon tisseur de Tours était marchand de vêtements et de tissus dans la rue Nationale, vers 1880. Tel compagnon boulanger tenait un restaurant à Tours, rue de la Serpe, à la même époque. Tel autre, compagnon charpentier, était marchand de bois. Tel autre encore, compagnon tanneur, était représentant en cuirs et peaux. Tel compagnon serrurier était fabricant de cycles. Tel compagnon boulanger était fabricant de conserves. Tel autre, compagnon ferblantier, tenait un bazar et une quincaillerie tandis qu’un compagnon maréchal-ferrant était garagiste, qu’un compagnon forgeron, victime d’un accident du travail, s’était reconverti dans la production d’huile d’olive et que de nombreux tonneliers étaient devenus courtiers en vin, cabaretiers et vignerons.
Dans les années 1960, vivait en Touraine un compagnon boulanger qui avait dû abandonner son métier à cause d’une allergie à la farine : il avait alors appris le métier de couvreur et fréquentait étroitement les compagnons couvreurs de la Fédération Compagnonnique des Métiers du Bâtiment, au point de poser avec eux lors de la traditionnelle photo de groupe prise le jour de la fête de l’Ascension. Si l’on ignore son histoire personnelle, pourra-t-on comprendre pourquoi ce personnage revêtu de couleurs de boulanger se trouve au milieu de compagnons couvreurs?
Encore deux exemples insolites de la fin du XIXème siècle : celui du compagnon cordonnier Vuillod qui entra dans les ordres et devint prêtre et celui du compagnon chapelier Bouchard qui embrassa la carrière militaire après son tour de France.
On pourrait multiplier les exemples à l’infini pour conclure que s’il faut exercer un métier déterminé pour acquérir la qualité de compagnon, on la conserve même si l’on change d’activité au cours de sa vie.